"Mais si James Ross, à cause de l'imperfection de ses instruments, ne put
trouver pour son aiguille verticale qu'une inclinaison de 89°59', c'est que le
véritable pôle magnétique se trouvait réellement à une minute de cet endroit.
Le docteur Clawbonny fut plus heureux, et, à quelque distance de là, il eut
l'extrême satisfaction de voir son inclinaison de 90°."
"Voilà donc exactement le Pôle magnétique du monde ! s'écria-t-il en frappant
la terre du pied.
- C'est bien ici ? demanda maître Johnson?
- Ici même, mon ami.
- Alors, reprit le maître d'équipage, il faut abandonner toute supposition de
montagne d'aimant ou de masse aimantée.
- Oui, mon brave Johnson, répondit le docteur en riant ; ce sont les hypothèses
de la crédulité ! Comme vous le voyez, il n'y a pas la moindre montagne capable
d'attirer les vaisseaux, de leur arracher leur fer, ancre par ancre, clou par clou,
et vos souliers eux-mêmes sont aussi libres qu'en tout autre point du globe.
- Alors comment expliquer ...
- On ne l'explique pas, Johnson ; nous ne sommes pas encore assez savants
pour cela. Mais ce qui est certain, exact, mathématique, c'est que le pôle
magnétique est ici même, à cette place !"
4 avril 1992

Notre avion se pose sur l'aérodrome de Resolute Bay (voir photo satellite),
le village d'où partent la plupart des expéditions vers les pôles géographique et
magnétique. Ce fut également le lieu de départ du docteur Jean Louis Etienne,
il y a de cela six ans, pour sa marche jusqu'au Pôle Nord géographique. Mais
nous savons que d'autres expéditions moins chanceuses sont parties de Resolute
Bay, qui n'ont pas eu la joie d'atteindre leur objectif.
Première constatation : il y a beaucoup de monde dans la petite salle qui sert
d'aérogare. On trouve non seulement ceux qui vont prendre l'avion qui nous a a
mené, mais aussi toutes les figures de Resolute Bay : le chef de la Police montée,
Simeonie le sculpteur inuit, venu vendre sa production ... et Terry Jesudason
(voir l'article sur Resolute Bay) venue nous accueillir. Bezal et Terry
Jesudason étaient, jusqu'à il y a quelques années, fonctionnaires du gouvernement
canadien, résidant dans les zones arctiques. Ils ont quitté cette confortable situation
pour créer La Maison des explorateurs, une auberge où se retrouve peu ou prou
la plupart des expéditions qui partent dans le Grand Nord. En plus d'un logement
et d'une nourriture délicieuse confectionnée par Terry, Bezal met à disposition un
atelier où l'on peut préparer son matériel et il assure, lorsque c'est nécessaire, les
liaisons radio avec les équipes sur le terrain.
Premier miracle : tous les bagages sont là. Nous avons 190 kilos de matériel
en soute, plus une vingtaine de kilos dans des bagages à main particulièrement
denses. Nous nous rendons avec Terry à la Maison des explorateurs, située dans
le village, à trois kilomètres de Resolute Bay.
A peine arrivés, nous faisons la connaissance de Michaël Vogeley, un Bavarois
qui se prépare à partir seul à l'assaut du Pôle magnétique. Michaël en est à sa
seconde tentative. Il nous montre avec fierté son traîneau à structure ultra légère,
5 kilos. Nous retrouvons pour le repas Luis et David, deux Espagnols qui ont
installé ici leur quartier général, et qui assurent le soutien logistique de Nil Bohigas,
lequel tente cette année de renouveler l'exploit de Jean Louis Etienne.
Nous apprenons qu'une expédition américaine a quitté Resolute une semaine
plus tôt pour rejoindre le Pôle nord magnétique. Nous savons enfin que
dans moins d'une semaine arrivera l'équipe de Gérard Bodineau qui s'est donnée
le même but. Gérard Bodineau a déjà tenté, sans succès, de rejoindre le pôle.
Il y aura ainsi cette année quatre expéditions sur la route du Pôle nord magnétique
(voir photo satellite).

Ce soir, il fait beau beau : - 36°c sans vent.
Au terme d'une marche de plus d'un mois sur la banquise, Philippe Roy et
Claude Wachtel ont atteint le 8 mai 1992 la zone du Pôle Nord magnétique,
sans chiens ni moyens mécaniques.

Extrait des Aventures du Capitaine Hatteras de Jules VERNE.

"Les observations faites à midi sur ce point donnèrent 70°5'17" pour la latitude
et 96°46'45" pour la longitude ; lorsque le docteur connut ces chiffres, il les
reporta à sa carte et vit qu'il se trouvait enfin au Pôle magnétique, à l'endroit
même où James Ross, le neveu de Sir John, vint déterminer cette curieuse
situation (...)".
"Le docteur et son compagnon parvinrent facilement à terre ; le premier
portait un compas destiné à ses expériences ; il voulait contrôler les travaux
de James Ross ; il découvrit aisément le monticule de pierres à chaux élevé
par ce dernier (...). Pas un être vivant ne paraissait avoir visité depuis trente
ans cette côte désolée".
"A cet endroit, une aiguille aimantée, suspendue le plus délicatement
possible, se plaçait aussitôt dans une position à peu près verticale sous
l'influence magnétique; le centre d'attraction se trouvait donc à une très
faible distance, sinon immédiatement au-dessous de l'aiguille. Le docteur
fit son expérience avec soin".
POLE NORD MAGNETIQUE 1992
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Suite
5 avril 1992

Après avoir fait " le plein " d'essence, 25 litres destinés à nos réchauds, nous
chargeons nos deux pulkas (traîneaux). Elles atteignent chacune plus de 90 kilos,
auxquels il faudra ajouter les dix kilos du sac à dos, et je suis inquiet sur notre
capacité à les tracter. On dit que l'on peut tirer normalement son poids. Je suis à
25 kilos au-dessus du raisonnable, et Philippe à 20 kilos.
Je plie avec précaution le "Drapeau de la Terre" que nous a confié
Albert Ducrocq pour le planter au Pôle Nord magnétique. Cet emblême a été
choisi l'an dernier, à l'issue d'un grand concours organisé par Europe n°1, les
journaux "L'Express" et "Air et Cosmos", ainsi que par le Cosmos Club de France.
J'avais eu l'occasion de participer au jury chargé de sélectionner les gagnants parmi
les auteurs de près de 10000 projets . Le choix final s'était porté sur un drapeau
représentant un disque bleu (la Terre vue de l'espace), entouré de quatre secteurs
triangulaires noir, rouge, blanc et jaune, figurant la couleur de peau des habitants
de notre planète.
Nous préparons notre matériel de liaison : une radio à hautes fréquences pour
les liaisons phoniques : elle devra nous permettre de joindre Resolute deux fois par
semaine, le lundi et le jeudi à 20 h 45. Nous disposons également d'une balise
Argos, qui retransmet, via les satellites artificiels, notre position ainsi qu'un code
choisi entre 1 et 16 qui correspond à des messages pré-établis avec nos
correspondants.
Ce soir, en nous promenant dans Resolute, nous comprenons que le vent sera
notre grand ennemi. Il souffle à trente kilomètres heure. Le visage fouetté par le
froid, nous décidons de ne pas nous attarder dehors et nous regagnons la chaleur
douillette de la maison de Bezal. Un doute me saisit : sommes-nous prêts à
affronter le désert polaire ? Résisterons-nous au premier coup de vent ?